Styles de vie et non-adhésion aux gestes barrières dans les ménages vulnérables des quartiers précaires d’Abidjan en période de virulence de la covid 19

Abstract

Malgré la campagne massive de communication contre la Covid-19 en Côte d’Ivoire, les ménages vulnérables des quartiers non structurés d'Abidjan manifestent une faible adhésion aux mesures de prévention étatiques. Ce travail a eu pour objectif d'élucider, par une approche qualitative et sous le prisme de la Théorie de la structuration (Giddens, 1984), les logiques qui sous-tendent le maintien de ces pratiques à risque. Les entretiens ethnographiques révèlent que les difficultés à appliquer convenablement les gestes barrières reposent sur la complexité de leurs styles de vie et de leurs logiques d'action, structurée par trois principaux facteurs interdépendants. Le premier facteur est lié aux représentations sociales erronées de la maladie qui engendrent un déni du risque et une minimisation de la menace sanitaire. La Covid-19 est perçue comme la « maladie des autres ». La mobilisation d'une « identité africaine » protectrice et la perception d'une instrumentalisation politique de la maladie conduisent à l'adoption de stratégies de protection imaginaires et à la non-priorisation des dépenses de santé (masques, gels). Le deuxième facteur est relatif aux contraintes structurelles et économiques (promiscuité de l'habitat, coût de l'eau et des produits d'hygiène), qui rendent l'application des mesures fastidieuse et onéreuse, imposant une rationalité de survie aux acteurs. Le dernier facteur concerne le besoin impérieux de maintenir la cohésion sociale : les acteurs donnent la priorité aux normes de leur groupe d'appartenance (et aux interactions de proximité) afin de préserver les liens sociaux qui constituent leur unique mécanisme de protection sociale informelle. Ainsi, les stratégies de riposte des pouvoirs publics se heurtent à de profondes barrières sociales fondées sur la rationalité de survie des acteurs.